Chapitre 19

 

Les conditions de Lugh tombaient sous le sens. Ce qui ne voulait pas dire que je les approuvais. Pour se protéger de l’éventualité dans laquelle William continuerait à soutenir Dougal, nous devions prendre des mesures de sécurité supplémentaires, Raphael devenant le plus vulnérable d’entre nous. C’est pourquoi Lugh décréta qu’aucun de nous ne devait vivre seul et que chaque foyer devait comporter au moins un démon.

Même si les paroles de Lugh faisaient loi, il y eut beaucoup de chamailleries concernant qui habiterait avec qui. Personne, bien entendu, ne voulait de Raphael jusqu’à ce qu’Adam et Dom acceptent cette charge et l’invitent à habiter avec eux. Brian pouvait loger chez moi et Barbie restait avec Saul – ils vivaient quasiment ensemble de toute façon. Restait donc Andy. Je ne tenais pas franchement à le voir se traîner dans mon appartement, mais ni Saul ni Barbie n’avait de chambre d’amis chez eux. Quant à faire cohabiter Andy et Raphael sous le même toit, cela tenait de la recette du désastre. Il ne restait plus que moi.

Une fois les arrangements de logement réglés, nous mîmes fin à la réunion du Conseil. Seuls Raphael, Adam et moi retournâmes dans la chambre noire pour parler à notre prisonnier.

William n’était plus recroquevillé dans un coin, mais s’était allongé sur l’énorme lit noir. Les bras repliés sur le torse et les jambes croisées aux chevilles, il avait l’air d’être tout sauf détendu. Lorsqu’il nous entendit entrer, il se rassit en hâte avec de nouveau cette expression de terreur sur le visage. Il savait que sa vie était en jeu.

Raphael, de nouveau en mode Lugh, se tenait légèrement devant Adam et moi. Je suppose que nous jouions les rôles de gardes du corps royaux, même si je ne suis vraiment pas bonne quand il s’agit de jouer un rôle. William glissa au bas du lit et se mit debout. Redressant les épaules, il réussit à paraître digne en attendant que Lugh énonce sa sentence.

— Ton hôte est-il intact ? demanda Raphael.

William parut complètement abasourdi par cette question.

— Quoi ?

— Ton hôte est-il intact ? répéta Raphael. Ce qui veut dire, est-il en état de fonctionner sans que tu possèdes son corps ou bien as-tu endommagé son cerveau ?

William pâlit un peu. Il savait probablement que Lugh n’approuvait pas que les démons maltraitent leur hôte.

— Il était déjà abîmé quand je l’ai possédé, dit William. Il se droguait depuis des années.

— Contente-toi de répondre à ma question.

— Je… je pense qu’il peut fonctionner sans moi. Mais je ne suis pas certain. Je l’ai gardé en état de contentement depuis que je le possède. Je ne suis pas certain qu’il supportera de retourner à la réalité.

— « En état de contentement », ça signifie qu’il plane ? demanda Adam.

William acquiesça avec méfiance. Étant donné la façon vraiment atroce dont certains démons abusaient de leur hôte, je suppose que de garder son hôte drogué dans un état d’euphorie permanente était un traitement assez convenable, même si je ne serais jamais complètement à l’aise avec cette idée.

Raphael pinça les lèvres, une expression que je ne lui avais pas souvent vue. Il était habituellement tellement sûr de lui. Mais il faisait semblant d’être Lugh et ce dernier réfléchissait toujours avant d’agir. Finalement, il sembla être parvenu à une décision – ou fit comme si.

— Je vais t’exorciser, dit-il.

Impossible de ne pas lire le soulagement sur le visage de William. Un soulagement qui disparut rapidement quand Raphael lui expliqua exactement ce qu’il attendait de lui une fois qu’il serait revenu au Royaume des démons.

— Je ne peux pas ! brailla William, presque en état d’hyperventilation. Si je parle, Dougal me jettera en prison !

Raphael tenta de l’apaiser d’un geste des mains.

— Calme-toi, William. Écoute-moi bien avant de paniquer.

Les yeux de William dévoilaient trop de blanc et il était de nouveau sur le point de sombrer dans l’hystérie, mais il parvint à se maîtriser.

— D’accord, dit-il dans un murmure étranglé.

— Je t’ai interrogé sur l’état de ton hôte parce que je compte te rappeler sur la Plaine des mortels dans trois jours. Cela devrait te suffire pour semer la zizanie. Et même si Dougal te fait emprisonner, je peux te rappeler. Si ton hôte n’est pas capable de pratiquer la cérémonie en personne ou s’y refuse, alors je demanderai à un de mes alliés humains de pratiquer le rituel avant de te transférer de nouveau dans ton hôte.

J’espérais qu’il s’agissait d’un mensonge. Je ne voulais en aucun cas qu’un de mes amis soit obligé de rappeler William le geignard.

Ce dernier se mordit la lèvre, l’air toujours inquiet, même si la panique avait disparu.

— Si mon hôte en est capable, il sera plus que consentant, affirma-t-il presque d’un air absent. Il a cherché cet état d’euphorie toute sa vie d’adulte et maintenant qu’il l’a trouvé, il fera n’importe quoi pour le garder.

Je grimaçai de dégoût sans intervenir. Peut-être qu’une personne aussi bousillée que l’hôte de William – s’il l’était en effet tel que le décrivait William – s’en sortait beaucoup mieux en étant complètement coupée de la réalité.

— Il semble alors que nous ayons un plan, déclara Raphael d’un air satisfait. Mais si tu songes à me trahir, rappelle-toi que tu seras appelé pour être de nouveau notre prisonnier. Je ne prends aucun plaisir à être cruel, mais je le serai si je découvre que tu m’as désobéi.

William déglutit difficilement avant d’acquiescer.

— Je ne te trahirai pas. Je te le jure.

Raphael hocha la tête d’un air royal.

— Très bien. Donne-moi ta main et ne résiste pas.

La main de William tremblait quand il la tendit pour que Raphael la saisisse, mais il s’exécuta.

L’exorcisme dura en tout et pour tout quarante secondes. J’étais impressionnée. Je ne m’étais jamais chronométrée lors d’une de mes prestations, mais je savais qu’il me fallait bien plus de quarante secondes et j’étais l’exorciste la plus puissante que je connaissais. Bien sûr, je ne fais pas partie de la famille royale des démons et j’étais donc surpassée. Hum. Surpassée par Raphael. Voilà une pensée qui n’était guère rassurante.

Quand William fut chassé, son hôte s’effondra, mais ce n’était pas parce que son cerveau était endommagé. Des larmes coulaient sur son visage et un gémissement pitoyable et plaintif s’échappa de sa gorge alors que tout son corps se mettait à trembler. Sa peau était couverte de sueur et ses yeux étaient vides et vitreux.

— Qu’est-ce qu’il a ? demandai-je.

Je n’avais jamais vu un hôte se comporter ainsi une fois son démon exorcisé.

Adam secoua la tête avec une expression proche du dégoût.

— À mon avis, il est en manque.

L’hôte passa une main sur son visage et y laissa cinq marques de griffures sanglantes. Adam se dépêcha de lui saisir les deux mains et l’homme se mit à se débattre en hurlant. Qui sait ce qu’il voyait. En tout cas, probablement rien de réellement présent dans cette pièce.

— Ces trois jours vont être très très longs, déclara Adam.

Je ne pouvais qu’être d’accord avec lui.

 

Avant de quitter le domicile d’Adam, je décidai que les trois jours à venir allaient être insupportables si je n’établissais pas quelques règles de base avec Andy. Cohabiter avec mon frère aîné dans un appartement minuscule n’allait déjà pas être une partie de plaisir, mais je n’étais pas certaine qu’il survive à ces trois jours si je devais également supporter son petit nuage noir de fataliste.

Je le coinçai dès qu’il sortit de chez Adam, le prenant par le bras et le traînant dans un coin sombre près du porche où nous pourrions discuter dans une relative intimité. Il écarquilla les yeux devant mon comportement sans protester pour autant. J’aurais préféré le contraire – ce qui aurait été au moins le signe qu’il était vivant. Qu’il ait pu connaître un état pire que celui-ci ne pouvait que me faire réfléchir.

En tant que sœur aimante, j’aurais dû me comporter de manière chaleureuse et protectrice, pleine d’empathie, usant de mots doux, mais cela n’a jamais été mon style. Sans être aussi brutale que Raphael, j’en avais ma claque de le prendre avec des pincettes.

— Si tu viens habiter chez moi pendant trois jours, dis-je en lui enfonçant un doigt dans la poitrine, tu as plutôt intérêt à changer d’attitude. Je ne tiens pas à t’entendre geindre constamment « pauvre de moi ! » ou je vais devenir cinglée.

Il serra les mâchoires et afficha un air obstiné.

— Quand m’as-tu déjà entendu dire « pauvre de moi » ?

Non, mon frère n’est pas un imbécile. Il avait très bien compris ce que je voulais dire.

— Arrête ça, Andy ! Tu as fait des choses dont tu n’es pas fier. Et alors ? Qui n’en a pas fait ? Assume et avance.

Il éclata de rire, mais l’amertume de ce rire était assez pesante pour me tirer une grimace.

— C’est ce que tu me conseilles ? demanda-t-il avec une lueur de colère dans le regard. « Assume et avance » ? (Il secoua la tête.) C’est froid, même venant de toi.

Je décidai de tenter un coup bas. N’importe quoi qui puisse le ramener à la raison.

— C’est Raphael qui t’a enseigné à te comporter comme une lavette ? Parce qu’il est parvenu à élever l’autoapitoiement au statut d’art, et tu sembles être en pleine émulation avec lui.

Andy grimaça et eut le souffle coupé, ce qui prouvait que mon coup bas avait fait mouche. Malheureusement, ce n’était pas une douleur constructive.

— Si tu ne supportes pas de m’avoir dans les pattes, je vais rester seul, dit-il. Je me fiche que cela plaise à Lugh ou pas. Je fais peut-être partie de son Conseil, mais je ne suis pas un de ses sujets.

Je m’étais leurrée en pensant que quelques mots bien choisis allaient arranger ce qui clochait chez lui.

— Passez du bon temps à jouer au petit couple, Brian et toi, lança-t-il en me bousculant pour passer.

Je l’attrapai par le bras avant qu’il s’éloigne.

— Tu viens chez moi, l’informai-je. J’en ai ma claque de ton comportement, mais ça ne veut pas dire pour autant que je veux te mettre en danger.

Il libéra son bras.

— Quelle bonté de cœur ! dit-il en s’éloignant.

— Si tu n’es pas chez moi à 9 heures demain matin, je viens te chercher, lui hurlai-je alors qu’il me tournait le dos.

Il leva la main dans un geste qui était soit un accord, soit un signe pour me dire de la fermer, soit un doigt d’honneur. Je n’aurais su dire dans la pénombre.

 

Pendant que j’assistais à l’exorcisme de William, Brian était repassé à son appartement pour remplir une valise afin d’avoir tout ce dont il avait besoin en cas de séjour prolongé chez moi. En arrivant dans le hall de mon immeuble, je le trouvai qui m’y attendait. Possédant déjà la clé de mon appartement, son nom se trouvait sur la très courte liste des personnes pouvant monter jusque chez moi sans que l’accueil m’appelle pour m’en demander l’autorisation. À présent, il fallait que je le fasse inscrire comme résident permanent de mon appartement, même si la situation était temporaire. Son statut de résident lui donnerait le droit à une carte de parking et impliquerait qu’il n’aurait plus besoin de signer à l’accueil chaque fois qu’il entrerait sans moi.

Nous restâmes silencieux tout le temps qu’il fallut à l’ascenseur lent et grincheux pour nous amener à mon étage, et ce n’était pas un silence totalement plaisant. Nous étions toujours séparés par le problème de Lugh et je ne trouvais quoi dire. Je ne savais pas si l’intervention de ce dernier avait arrangé quoi que ce soit ou n’avait fait qu’aggraver la situation.

Le silence nous suivit dans l’appartement et je me sentais tellement mal à l’aise que je fus tentée de proposer la chambre d’amis à Brian, même si cette pièce accueillerait Andy quand il débarquerait le jour suivant. Brian posa sa valise puis me prit dans ses bras. J’enlaçai sa taille et appuyai avec gratitude ma tête sur son épaule. Brian sait très bien quand j’ai besoin d’un câlin. Comme je ne suis pas très portée là-dessus, ça arrive rarement.

— Tu m’aimes encore ? demandai-je.

Je suppose que j’en avais besoin en ce moment. Brian me serra contre lui.

— Bien sûr que oui. Même pendant nos crises les plus terribles, je n’ai jamais cessé de t’aimer.

Je déglutis malgré la boule dans ma gorge.

— Et Lugh ?

Je sentis qu’il haussait les épaules sans me lâcher.

— Je vais apprendre à vivre avec lui.

Il m’écarta légèrement puis prit mon visage entre ses mains, relevant ma tête vers lui pendant qu’il me caressait les joues avec les pouces.

— Après ce qu’il m’a dit tout à l’heure, je ne peux pas te demander de te débarrasser de lui. Pas alors qu’il peut t’éviter d’être malade ou blessée. Quand je t’ai demandé de le transférer dans un autre hôte, je ne pensais pas vraiment ce que je t’ai dit.

La boule dans ma gorge était douloureuse. Vivre avec Lugh n’allait pas être aussi simple que ce que Brian suggérait. Bien sûr, il pouvait en toute logique admettre que Lugh était bon pour moi et désirer que je bénéficie de toutes les protections qui découlaient du fait d’être possédée. Mais les émotions, au diable les émotions, elles ne sont pas logiques. La jalousie pointerait de nouveau son sale museau, je le savais.

Brian se pencha et effleura mes lèvres des siennes.

— Oui, je suis encore jaloux, dit-il tout près de ma bouche.

Difficile d’être agacée par cet aveu alors qu’il me taquinait à coups de légers baisers.

— Mais d’une manière ou d’une autre, il faudra que je fasse avec.

— Je crois qu’il est temps qu’on arrête de parler, répondis-je en attirant son visage vers le mien pour un baiser plus ferme, plus profond.

— Comment va ta tête ? me demanda-t-il quand nous reprîmes notre souffle.

Quand il me posa la question, je décelai les traces de la migraine qui avait commencé quand Lugh avait pris le contrôle. Elle n’était plus aussi pénible, juste une gêne mineure.

Je fis la moue, en exagérant le mouvement de la lèvre.

— Ça allait jusqu’à ce que tu m’en parles.

Brian me sourit, les yeux assombris par le désir. Il colla fermement ses hanches contre moi, en me faisant savoir à quel point il était content de m’avoir dans ses bras.

— Tu crois que je pourrais peut-être trouver un moyen de te changer les idées ?

Je répondis à son sourire lascif par une expression similaire.

— Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.

Et quelle surprise, je ne ressentis plus aucune douleur du reste de la nuit.

 

Je m’endormis, blottie dans les bras de Brian, pour me réveiller dans le salon de Lugh. J’envisageai de me plaindre sans que cela serve à grand-chose puisque mes protestations ne semblaient jamais vraiment affecter Lugh.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je, sur mes gardes, me demandant si Lugh était en train de détourner mon attention dans ce rêve afin de partager un moment privé avec Brian.

Il me sourit.

— Non, je ne vais plus m’occuper du problème Brian pour le moment.

En voilà une surprise ! Il était rare que Lugh ne se mêle pas de quelque chose. Pour ne pas dire, jamais.

Son sourire se fit espiègle.

— J’ai dit « pour le moment », pas pour toujours. J’ai une petite idée sur la prochaine étape le concernant mais, pour l’instant, vous vous en sortez très bien tous les deux.

Il émit un petit soupir heureux. Je rougis un peu, sachant qu’il avait apprécié autant que moi la séance de ce soir avec Brian, mais je devais commencer à m’y faire, parce que je n’éprouvais pas l’envie de fondre d’humiliation sur mon siège.

— Si tu n’as pas prévu de jouer au psy de bazar, alors pourquoi m’as-tu fait venir ici ?

Toute marque de satisfaction disparut de son visage.

— Tu m’as posé une question ce soir – une question à laquelle je t’ai dit que je répondrais plus tard.

Suffisamment de choses s’étaient passées entre-temps pour que j’en oublie presque cette question. Elle me revint cependant rapidement à l’esprit. J’avais demandé à Lugh s’il jetterait vraiment Raphael en prison s’il remontait sur le trône. D’après son expression, je n’avais plus trop envie de connaître la réponse.

— Mon frère a commis beaucoup de crimes, déclara Lugh la voix emplie de regrets. Je doute de les connaître tous. Il est de mon devoir de le punir.

— Même s’il t’a sauvé la vie ? Même s’il t’aide à remonter sur le trône ?

J’étais un peu indignée. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je méprise vraiment Raphael. Mais il y avait des moments – fugaces, mais néanmoins bien réels – où je me reconnaissais en lui. Et il m’était d’autant plus difficile de le détester comme j’aurais dû.

— En effet, admit Lugh. Je ne le souhaite pas. En dépit de tout ce qu’il a fait, j’aime mon frère. Mais je refuse d’être le genre de roi qui change les lois pour arranger ses amis et sa famille. Raphael a enfreint la loi et il doit donc être puni.

Je perçus dans sa voix à quel point cela lui était pénible. Quand il disait qu’il ne le souhaitait pas, il le pensait vraiment. Mais à sa manière, il était aussi droit que Brian.

— Qu’est-ce que ça signifie exactement d’être emprisonné au Royaume des démons ? Raphael décrit cette expérience comme étant pire que la mort, mais je ne comprends pas vraiment.

Lugh secoua la tête.

— Non, tu ne peux pas comprendre. L’emprisonnement pour nous consiste à être enfermé dans ce qui équivaut à une chambre de privation sensorielle. Sans corps, nous n’avons aucune sensation physique, mais ça ne veut pas dire que nous n’avons pas de sens. Nous pouvons nous « voir », nous pouvons nous « entendre ». Nous pouvons être en interaction les uns avec les autres. Mais en prison, tout cela nous est retiré. L’isolement est extrême… (Il affronta mon regard.) Et nous sommes des êtres quasiment immortels. Une condamnation à vie…

L’horreur de cette idée me coupa le souffle.

— Je ne condamnerai pas Raphael à vie, poursuivit-il, même si nombreux seront ceux qui diront qu’il le mérite. Je peux commuer sa peine au regard de l’aide qu’il m’aura apportée, mais je ne peux m’y soustraire sans être accusé de favoritisme. Même avec une peine commuée, il… souffrira.

L’explication de Lugh éclaira d’une toute nouvelle lumière ce à quoi Raphael renonçait en s’efforçant de remettre son frère sur le trône. Je devais admettre que je l’admirais à contrecœur pour cela. Peu importaient ses défauts, Raphael était une créature aussi loyale qu’il était possible de l’être.

— Est-ce que tu trouves ma décision injuste ? demanda Lugh, même s’il devait savoir ce que je ressentais.

Il n’y avait aucun secret entre nous, du moins pas quand les secrets étaient les miens. Parfois, cependant, il aimait que je verbalise mes pensées, même s’il les connaissait.

— Ça ne change en rien l’opinion que j’ai de toi, dis-je. Tu essaies d’être juste, ce qui est bien. Mais je dois avouer que j’ai meilleure opinion de Raphael à présent.

Lugh ferma les yeux, comme s’il souffrait.

— Moi aussi, dit-il d’une voix presque imperceptible. Moi aussi.

Et le rêve disparut.

 

Mercredi était le premier jour au cours duquel William devait semer la confusion au Royaume des démons, même si nous ne pensions pas pour autant en ressentir les effets immédiatement. Ce qui était une bonne chose parce que le dîner de répétition générale au restaurant de Dom avait lieu le soir même. Il avait invité tout le Conseil de Lugh, et il avait également convié sa famille, ce qui semblait apparemment inclure un tiers de la population de Philadelphie sud.

Même si la famille conservatrice de Dom désapprouvait le style de vie de ce dernier, presque tous ses membres vinrent. Y compris sa vilaine belle-mère qui donna l’impression de vouloir s’en aller dès qu’elle eut posé le pied dans la salle. D’après moi, le père de Dom avait dû l’obliger à venir.

Dom avait disposé des cartons avec les noms des convives sur les tables afin que nous sachions tous où nous asseoir. Bien sûr, il était du coup plus facile de remarquer les places vides et leurs cartons, mais la situation n’était pas aussi terrible que celle à laquelle Dom s’était attendu. Il avait craint que la vilaine belle-maman soit parvenue à convaincre toute une bande de vieilles dames à boycotter son dîner.

Le seul absent du Conseil de Lugh fut Raphael, mais c’était prévu. L’un de nous devait rester chez Adam pour s’occuper de l’hôte de William qui, pour le moment, avait passé tellement de temps à écumer de rage – au sens figuré, en grande partie – qu’on pouvait à peine le considérer comme un être humain fonctionnel.

Lugh et moi n’aimions pas beaucoup l’idée de laisser Raphael seul. Non pas parce que nous ne lui faisions pas confiance – pour une fois –, mais parce qu’il serait sans doute le premier visé. À ma grande surprise, Andy s’était porté volontaire pour rester avec lui. Ses instincts de héros devaient probablement tenter de refaire surface. Mes propos rudes avaient peut-être eu plus d’effets que je l’avais imaginé, même si je me vantais peut-être en croyant cela. Cependant, Raphael avait refusé l’offre d’Andy d’un geste négligent de la main.

— Je resterai trois heures tout seul, tout au plus, avait déclaré Raphael. Je vous appellerai au moindre problème et le restaurant se trouve à moins de quatre blocs de la maison. De plus, avait-il ajouté avec un sourire carnassier, on ne me tue pas si facilement.

Nous avions tous considéré sa remarque comme rassurante sans que cela nous empêche de nous inquiéter, Lugh et moi. Je comprenais que Lugh se fasse du souci – Raphael était son frère, après tout –, mais je ne me serais pas attendue à une telle réaction de ma part. Mon attitude vis-à-vis de Raphael s’était probablement plus adoucie que je l’avais imaginé.

Lugh et moi devions pourtant admettre que cette soirée était bien plus agréable en l’absence de Raphael. D’abord, Saul se comportait de manière beaucoup plus civilisée quand son père n’était pas dans les parages. Ensuite, nous n’avions pas à supporter les réflexions subtiles mais vicieuses que Raphael plaçait invariablement dans n’importe quelle conversation.

À ma grande surprise, ce dîner s’avéra même amusant. Non pas que j’imaginais qu’aller manger dans le restaurant de Dom puisse être une corvée. Mais lorsque vous jouez un rôle clé dans une guerre et que le destin de la race humaine repose sur vos épaules, se détendre et apprécier les moments simples peut devenir difficile. Par habitude, j’étais constamment sur le qui-vive et les seules fois où je m’autorisais à baisser la garde, c’était au lit avec Brian. Attendez, soyons clairs, c’est bon de baisser la garde au lit. C’est juste qu’on ne peut pas comparer le plaisir pris avec Brian et celui de cette soirée.

Sans Raphael dans les environs pour lancer des piques à tout le monde, tous les membres du Conseil de Lugh étaient plus… détendus. Même Andy sembla sortir de son état de stupeur pendant un temps. Il ne parlait toujours pas beaucoup, mais je n’avais pas l’impression qu’il se coupait des autres. Et à plusieurs reprises, je le surpris à sourire. Comme quand Adam profita d’un moment d’inattention de la part de Dominic pour lui pincer les fesses. Dom sursauta en émettant un petit couinement, mais il y avait assez de bruit dans le restaurant pour couvrir son petit cri, et les membres de sa famille, tout du moins, étaient trop absorbés par la nourriture et leurs conversations. Dom jeta un regard furieux à Adam qui lui répondit par un air innocent.

— Tu m’as promis de bien te comporter, le réprimanda Dom.

Adam lui adressa un sourire malicieux.

— C’est exactement ce que je fais.

Dominic roula des yeux d’un air théâtral en émettant un soupir exaspéré. Ensuite, il prit soin de ne plus tourner le dos à Adam.

Le dîner se déroula sans problème. Mais Dom et le reste d’entre nous avions sous-estimé la capacité de sa famille à s’attarder. Le restaurant n’avait pas encore la licence pour les alcools – la procédure prend des lustres à Philadelphie – et les clients avaient le droit d’apporter leurs bouteilles de vin. La famille de Dom en avait apporté suffisamment pour saouler la moitié de la ville et ses membres passaient du bon temps à s’enivrer au point de rouler sous la table. Je m’inquiétai de nouveau d’avoir laissé Raphael sans protection pendant si longtemps, même s’il ne se laisserait pas facilement tuer et s’il était peu probable qu’on s’en prenne à lui.

Adam et Dom tentèrent d’être plus démonstratifs dans leurs marques d’affection en espérant mettre mal à l’aise les membres de la famille de Dom et les faire fuir, mais la plupart d’entre eux étaient bien trop saouls pour y prêter attention.

Il était un peu plus de 23 heures quand Brian, Andy et moi nous excusâmes et quittâmes la fête pour aller rejoindre Raphael. Dom serait coincé au restaurant jusqu’au petit matin et il était hors de question pour Adam de le laisser seul. Nous aurions vraiment cherché les problèmes si nous avions envoyé Saul et Barbie, ce qui expliquait pourquoi nous avions tiré tous les trois la paille la plus courte.

Ma vie avait été si tumultueuse, dans le mauvais sens du terme, ces derniers temps que ce fut presque décevant d’arriver chez Adam et Dom sans qu’aucun ennemi nous y attende pour nous bondir dessus. Nous expliquâmes à Raphael ce que nous faisions là et il nous prépara très gentiment du café pour nous aider à veiller jusqu’au moment où nous pourrions retourner chez moi. Je devais être très fatiguée, car je m’endormis sur le canapé avant que le café soit prêt.

Péchés Capitaux
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